De son fort romain originel au pilonnage subit durant la seconde guerre mondiale, le château de Cardiff est presque une synecdoque historique de la Grande-Bretagne dans son entier (en incluant les goûts en décoration d’intérieur qui ne se discutent pas mais possèdent un fort pouvoir traumatique sur la durée).
Tout commence au Ier siècle, quand les Romains arrivent dans le sud du Pays de Galles pour apporter l’éclairage civilisationnel de l’époque et que les populations celtes locales prennent la nouvelle avec un entrain modéré. Les Silures tentent alors de convaincre l’envahisseur de rebrousser chemin en le tuant poliment et c’est ce qui motivera les Romains à se trouver un petit coin sympa à la vue dégagée, sur le point le plus en amont possible de la rivière Taff, où ils se construisent une petite place forte confortable d’environ 200 mètres de côté, comme chez mémé, se faisant livrer du vin romain, de l’huile d’olive d’Espagne et autres menus bibelots festifs pour égayer leur quotidien monotone de missionnaires du progrès.
A leur départ au Vème siècle, le fort tombe en ruine et les Normands qui débarquent à partir de 1060 recyclent ses pierres pour bâtir un vaste donjon, accessoirement le plus grand du Pays de Galles de l’époque, sur une énième motte castrale. Les tensions incessantes avec les Gallois, notamment Llywelyn ap Gruffudd le dernier roi local dont il a été question dans l’article sur le château de Caernarfon, poussent la famille de Clare à développer les défenses du château et à faire construire la Tour Noire, reliée au donjon par un mur divisant la cour en deux espaces distincts. Comme le dernier héritier mâle meurt à la guerre en 1314 sans laisser de successeur, le roi Édouard II confie le château à son cruel mais favori neveu Hugues le Despenser. Début XVème, alors que la famille de ce dernier utilise désormais plus volontiers une résidence voisine que le château de Cardiff, une rébellion galloise menée par Owain Glyndŵr éclate dans le nord du pays et s’étend peu à peu vers le sud, finissant par conquérir momentanément la forteresse après lui avoir causé de sérieux dégâts.
Après moult autres changements de propriétaires durant la Guerre des Roses et la guerre civile, la propriété arrive entre les mains des comtes de Bute (prononcé « bioute » et descendants de Robert II d’Écosse, quand même) au XVIIIème, suite à de guillerettes épousailles. Le château visible aujourd’hui date du XIXème siècle et est l’œuvre de William Burges, architecte recruté par le troisième comte de Bute : John Crichton-Stuart.
Le premier comte de Bute (John Stuart) – qui gagnera plus tard l’épithète de « créateur de la Cardiff moderne » – préférant l’espace à l’histoire fit démolir tous les bâtiments médiévaux ainsi que le mur de séparation de la cour, d’où son aspect quelque peu nu présentement. A l’époque, Cardiff était d’une taille bien plus modeste, basée sur une économie agricole et 25ème ville la plus peuplée du Pays de Galles (c’est à dire pas peuplée). Mais ce premier comte de Bute, flairant le filon à exploiter que représentaient les gisements de charbon de la région, entreprit la construction des docks du port afin de faire de son bastion la plaque tournante du commerce de ce combustible alors très recherché. En quelques dizaines d’années la ville gagne une connexion par bateau à Bristol, la ville voisine, ainsi qu’avec Londres par diligence, mais également une banque et une université, couronnant dans la foulée son accès au statu de plus grande ville du Pays de Galles à la fin du XIXème siècle.
Son petit-fils, modérément ému des prises de position esthétiques de son aïeul, embauche William Burges pour absolument tout refaire (des douves du donjon à la résidence elle-même en passant par les murailles romaines). Rendu immensément riche par ses mines de charbon, il ne lésine pas sur les moyens et fait même construire une nouvelle tour pleine de dorures : la Tour de l’Horloge. Soucieux de rendre justice aux ruines romaines, il consulte des spécialistes afin de les reconstruire le plus fidèlement possible. C’est pourquoi nous pouvons voir aujourd’hui une démarcation de pierres rouges au sein de la muraille ceignant le château : au-dessous se trouvent les pierres romaines et au-dessus les plus récentes.
Le quatrième comte qui s’appelait aussi John parce que les Bute n’avaient manifestement pas compris que transmettre son nom de famille à ses descendants était tout à fait suffisant, accepta de prêter les murailles du château au habitants de la ville pour qu’ils viennent s’y réfugier lors des bombardements de la seconde guerre mondiale. Différentes sections furent séparées par des murs internes temporaires afin de limiter les dégâts possibles, des rampes d’accès à ces abris furent aménagées ainsi qu’une cafétéria de fortune et un poste de secours sommaire. A la mort de ce quatrième comte en 1947, le château et son parc furent remis par son fils (John – ceci n’est pas une blague) à la ville de Cardiff. Depuis, le parc est libre d’accès et le château est devenu une attraction touristique. Pour les curieux, une partie des murailles a été réaménagée pour présenter l’ambiance 39-45, avec alertes sonores, affiches d’époque et photos de la ville bombardée.
L’entrée est à 10,50£ avec une carte étudiante (pas besoin de la carte internationale, la française est acceptée) ou pour les jeunes de plus de 60 ans ; 12£ sinon.
Bonus animalier avec cet extrait du mur longeant le parc Bute :